Le lutin est une créature humanoïde nocturne de petite taille, issue au sens strict du folklore et des croyances populaires de certaines régions française comme le Berry, la Normandie et la Picardie. Les Ardennes et la Wallonie connaissent un génie domestique très proche sous le nom de nuton. En Bretagne, les korrigans sont assimilés à des lutins, tandis que dans les Alpes, le nom de servan est employé. Probablement inspiré des divinités du foyer et de « petits dieux » païens tels que les sylvains, les satyres et les Pénates, son nom dérive de l'influence linguistique du dieu romain Neptune et, ou du celte Nuada, tous deux liés à l'eau. L'influence des croyances envers les revenants peut expliquer une partie de ses caractéristiques. Dès le Moyen-Age, il apparaît dans les récits et les chroniques déjà doté de particularités qui restent connues à notre époque. Les paysans se transmettent des siècles durant les rites visant à s'attirer ses bonnes grâces, ou au contraire à le chasser.

 

En plus de sa taille réduite, le lutin est réputé pour son espièglerie, son don de métamorphose et d'invisibilité, son côté facétieux bienfaisant ou malfaisant, son obsession pour les femmes à l'origine du mot « lutiner », sa susceptibilité, et surtout son habitude de s'occuper des foyers humains, en particulier des écuries. Les croyances évoluent en englobant de nouvelles créatures au fil du temps, puis elles gagnent l'Amérique du Nord avec les colons français. Elles rejoignent un archétype, le « fripon », et permettent à Carl Gustav Jung de définir l'enfant intérieur comme la part enfantine de chaque être humain.

 

La confusion entre le lutin, le nain des pays germaniques et l'elfe des pays scandinaves est fréquente depuis le Xe siècle en Europe de l'Ouest, le mot « lutin » étant spécifique aux langues romanes, et surtout à la France. Des centaines de petites créatures aux noms différents peuvent être désignées comme des « lutins », désormais un terme générique pour le petit peuple masculin en France. Après une période de fort recul des croyances et traditions au XXe siècle, La grande encyclopedie des lutins de Pierre Dubois marque les débuts d'un regain d’intérêt et d'une abondante production littéraire et artistique à leur sujet. Le lutin est désormais vu comme un personnage de la fantasy, et comme l'assistant du père noël.

 

Créature

Groupe Folklore populaire
Sous-groupe petit peuple
Caractéristiques Humanoïde farceur de petite taille
Habitat Sous terre, dans des grottes ou dans les foyers des humains
Proches Nain, nuton, gobelin, gnome

 

Origines

 

Origine Folklore français
Région France
Première mention XIe siècle, « nuitum » dans un laaz de Rachi

 

Etymologie et terminologie

Le mot « lutin », tout comme ses nombreuses variantes dans l’aire francophone, relève d’une origine qui suscite encore la controverse parmi les philologues.

 

Description

Des différences existent entre les lutins présentés dans les romans, souvent stéréotypés, et ceux des croyances populaires, beaucoup plus diversifiés. La grande majorité des témoignages à leur sujet proviennent de Bretagne. Bien qu'ils soient facilement confondus avec les nains, les lutins s'en distinguent par quelques particularités. Leur espièglerie, leurs taquineries et leur rire sonore sont bien connus, tout comme leur susceptibilité. Ils passent le plus clair de leur temps à s'amuser et courir derrière les filles. Collin de Plancy cite à ce propos un proverbe populaire à son époque :

« Où sont fillettes et bon vin,
C'est là que hante le lutin. »

 

— Collin de Plancy, Dictionnaire infernal.

 

Mais les lutins se montrent à l'occasion travailleurs et guerriers. Certains récits mentionnent leur force extraordinaire, tel ce fabliau allemand du XIIIe siècle, cité par Pierre Dubois, dans lequel un schretel combat un ours. D'autres textes les attachent à des paladins en aventure, et en font de redoutables bretteurs malgré leur taille réduite.

 

Il est délicat de saisir les caractères du lutin en raison du très grand nombre de rôles qu'il peut jouer : lié tantôt à la forêt, à l'eau, à l'air, aux dunes ou aux prés, protecteur du foyer, des enfants et des animaux puis démon nocturne, bandit voleur ou lubrique insatiable, il a survécu à travers les contes et récits du folklore populaire, transmis par la tradition orale des siècles durant. Il est généralement nocturne, « le monde lui appartient depuis onze heures jusqu'à deux heures après minuit », et il se défend férocement contre les ivrognes qui l'insultent. Enfin, dans les récits, le lutin meurt parfois d'accident ou de chagrin, et n'est pas « tout à fait immortel ».

 

Claude Lecouteux a mis au jour une étroite association entre les croyances mortuaires, le petit peuple, l'eau et les chevaux. Il rapporte aussi la distinction « commode bien que peu pertinente » faite par plusieurs chercheurs entre les « lutins terrestres », et les « lutins des eaux ».

 

Apparence et habits

À l'origine, les lutins n'ont pas de taille caractérisée. Leur première description est celle de l'Anglais Gervais de Tilbury, vers 1210, lequel affirme que les nuitons ont l'aspect de vieillards et la face ridée, sont vêtus de haillons cousus ensemble, et mesurent un demi-pouce, soit moins de deux centimètres. Les lutins, tout comme les nains, sont presque toujours perçus comme « vieux et petits », mais pas toujours autant que ceux de Tilbury. Si les récits médiévaux ne précisent pas qu'ils sont barbus, des témoignages du XIXe siècle, wallons en particulier, insistent là-dessus. Pierre Dubois dit que « rien n'est plus compliqué que décrire un lutin », mais évoque une taille « d'un demi-pouce à trente centimètres », la présence de cheveuxtouffus et d'une barbe « qui pousse à l'âge de 300 ans », d'habits en haillons verts et bruns, de poulaines, et d'un bonnet pointu rouge ou vert sur la tête.

 

Les habits du lutin ont une importance particulière, bon nombre d'histoires rapportent qu'ils sont vêtus de haillons et que leur offrir des vêtements neufs provoque leur départ. Claude Lecouteux en cite une à Ibourg au XIXe siècle. Des lutins s'occupent du cheval gris d'un paysan, un valet les surprend et révèle leur présence au propriétaire de l'animal. Celui-ci, pour les remercier, leur offre des habits, mais les lutins ne reparaissent plus jamais. Des récits similaires concernent les Brownies d’Irlande et d’Écosse. Un Brownie des Highlands bat le grain pour des fermiers jusqu'au jour où, croyant ainsi le remercier, ces derniers lui offrent un bonnet et une robe. Il s'enfuit avec, ajoutant qu'ils sont « bien bêtes » de lui avoir donné avant qu'il n'achève sa tâche. Cette particularité est probablement issue d'une très ancienne tradition orale, puisque les mêmes thèmes se retrouvent chez le petit peuple de la légende arthurienne.

 

Citant le départ du lutin de la chronique de Zimmern (1566), Claude Lecouteux suppose que la couleur du bonnet offert, le rouge, contraint le lutin à partir. Il existe aussi une histoire où le pooka révèle que les habits qui lui sont offerts représentent le salaire qui met un terme à sa pénitence.

 

Portrait psychologique

Les lutins sont très inconstants, d'où le nom des follets (petits fous) et des sotês et massotês (petits sots) : ils peuvent rendre de multiples services un jour et commettre les pires bêtises le lendemain. Leur asocialité est connue depuis le Moyen Âge puisque Marie de France parle d'un folet capturé par un paysan, et prêt à lui donner tout ce qu'il voudra « s'il ne le montre pas aux gens ». La plupart sont furieux lorsque des humains les voient, la pire des situations étant qu'une personne leur adresse la parole, et exige d'eux une réponse. Paul Sébilot et Henri Dontenville les disent « peu loquaces », Sébillot ajoutant même qu'un lutin des dunes bretonnes viendrait défier en duel quiconque l’appelle. Les nutons ardennais prennent peu la parole, et toujours pour livrer des messages désagréables, à tel point que « nuton » est devenu un synonyme de « misanthrope » et « taciturne ». En Picardie, deux follets, les fioles, jettent à l'eau les personnes qu'ils entendent siffler.

 

Capacités

Tous les récits de lutins leur prêtent des capacités magiques, comme celle de prédire l'avenir et de lancer des sorts. Leurs sortilèges sont particulièrement craints dans les Ardennes. Un récit bien connu parle d'un paysan wallon fauchant son blé pour le rentrer avant l'orage, lorsqu'il voit le nuton de son foyer l'aider en portant un épi à la fois. Énervé par ce qu'il juge comme une aide inutile, il s'en moque. Le nuton sort de son mutisme et lui lance cette malédiction :

« Paume à paume (Épi par épi), je t'ai enrichi, paume à paume je te ruinerai ! »

 

— Collecté par Jérôme Pimpurniau

La variante « Épi par épi, je t'ai enrichi, gerbe par gerbe je te ruinerai » est citée par Albert Doppagne et surtout Pierre Dubois, qui en a fait le symbole du lien du petit peuple avec la Nature, et de l'importance à le respecter, ajoutant que rien n'est jamais acquis ou définitif avec eux. Dans la suite du récit en effet, le paysan wallon perd toutes ses possessions et finit ruiné.

 

Une histoire très semblable met en scène un donanadl, lutin tyrolien qui, assis entre les cornes de la plus belle vache de la Grünalm (« la toute verte », vallée des Alpes tyroliennes), voit le propriétaire du troupeau tenter de l’assommer. Il le maudit en disant « La Grünalm sera dépourvue d'eau et d'herbe, et d'eau encore plus ! ». Peu après, les sources se tarissent et l'herbe ne repousse plus.

 

Les lutins peuvent aussi se rendre invisibles, le plus souvent grâce à un objet tel qu'un bonnet ou une cape. Ils utilisent leurs pouvoirs au bénéfice des gens vertueux, comme dans ce conte picard d'Acheux collecté par Henry Carnoy, où un bossu aide une bande de lutins à connaître le dernier jour de la semaine, lesquels lui ôtent sa bosse pour le remercier. Un autre bossu ayant appris l'affaire croise une autre bande de lutins et mélange les jours : ils le punissent en l'affublant d'une deuxième bosse. Un récit flamand parle de lutins établis dans une ferme à Linden, qui bâtissent une tour sur une église en un mois contre un peu de nourriture. Enfin, s'ils sont réputés agités et courent souvent dans tous les sens selon les croyances, les lutins peuvent aussi se déplacer sur une grande distance bien plus rapidement que les humains.

 

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Métarmorphose

La capacité à se métamorphoser et à changer de taille est l'une des particularités les plus typiques des lutins dans les récits à leur sujet. Elle se retrouve aussi chez les nains des traditions populaires, en étroite relation avec la croyance médiévale du double. Leur portrait psychologique (taciturnes, détestant être vus...) explique que la plupart du temps, ils semblent de petite taille. Cependant, il est probable qu'à des époques plus lointaines, en cas de menace, les lutins peuvent grandir instantanément et flanquer une correction à leur agresseur. Les auteurs de textes médiévaux auraient dédoublé le lutin originel du folklore en un « nain petit et faible », toujours vu en premier, et son « protecteur ». Un exemple en est la chanson Dieudonné de Hongrie.

 

Les lutins prennent aussi l'apparence d'animaux, voire se changent en objets. Leurs métamorphoses animales sont variées, incluant surtout le cheval et la grenouille (le Teul ar Pouliez breton dans sa mare étant un exemple), puis le chat et le serpent. Des traces de génies de la maison adorés sous forme de serpent sont présentes depuis des époques très reculées en Europe, l'animal partageant un trait commun avec le lutin, qui est sa réputation d'aimer le lait. Le lutin a également la capacité de changer autrui en animaux, particulièrement en équidés : au XIXe siècle, un sotrê de Lorraine aurait métamorphosé un fermier en âne. Un certain nombre de textes, dont Les evangiles de quenouilles, lient le feu follet au lutin (luiton) en disant que ce dernier apparaît parfois sous la forme d'une petite lumière.

 

Changelins

Tout comme les fées, certains lutins enlèvent, dit-on, des bébés humains au berceau et les remplacent par l'un des leurs, le changeling. Ce dernier a parfois l'apparence d'un bébé lutin, d'autre fois celle d'un très vieux lutin. Pour se protéger des enlèvements, plusieurs méthodes sont citées, l'une d'elles étant de coiffer l'enfant d'un bonnet rouge, qui traditionnellement était réservé aux bébés morts-nés. Le lutin, croyant l'enfant déjà mort, est censé ne pas l'importuner. Un récit lorrain parle d'une mère qui s'empare du bonnet rouge d'un sotrê retrouvé au pied du berceau de son enfant disparu, et s'en sert de monnaie d'échange. Un récit daté de 1885, dans le Morbihan, parle d'une servante fée qui guide une bande de lutins volant les biens et les enfants des habitants. Une mère, se doutant que son enfant a été remplacé, pose douze oeufs en rond sur la pierre de son foyer, et voit le changeling rire puis dire « J'ai bientôt cent ans, oncques n'ai vu tant de pots blancs ».

 

Liens avec le foyer

 

Les petits nains de la montagne
Verdurenette, Verduret
La nuit font toute la besogne
Pendant que dorment les bergers

 

(Comptine collectée par Emile Jacques-Dalcroze, Chansons populaires romandes : Chanson à la lune (1904), La ronde des petits nains)

 

Selon la croyance, le « lutin du foyer » vit à l'origine dans la nature (des habitats souterrains sous les collines, dans les bois ou entre les racines de grands arbres), et choisit de s'établir dans une habitation humaine (en général une ferme) pour se mettre au service de ses habitants, causant parfois des troubles, et jouant la nuit dans la cheminée. Ils sont nommés « lutins domestiques », ou « follets qui font office de valets », selon Jean De La Fontaine. Le nom du servan alpin, daté du XIXe siècle, provient de cette fonction.

 

Tâches accomplies par les lutins

Les « lutins du foyer » s'occupent d'une foule de travaux, en particulier pour les chevaux dont ils prennent grand soin, mais aussi pour les bovins. Les sotrès vosgiens soignent le bétail, changent sa litière et donnent aux vaches un fourrage appétissant ; le follet de Suisse normande dérobe aux autres des brins d'herbe fraîche pour les donner à sa vache favorite, et en Basse-Bretagne, Teuz-ar-pouliet, l'espiègle de la mare, baratte aussi le lait.

 

Les lutins surveillent, protègent et tiennent propre la maison dont les habitants lui témoignent un grand respect, font la cuisine, consolent les enfants tristes, en résumé, ils s'occupent de toutes les tâches domestiques du foyer avec une extrême efficacité, bien plus grande que les hommes. Ils peuvent s'y mettre à plusieurs, ne sortent et se montrent que la nuit, et ne dorment jamais, d'où le proverbe français « Il ne dort non plus qu'un lutin ». Ils fréquenteraient les caves et les greniers, le dessous des lits et les armoires, et fuiraient tout contact avec les objets en fer. Les textes rapportent qu'ils se nourrissent de grenouilles rôties, mais aussi qu'ils réclament uniquement de la nourriture en échange de leurs services. La plupart du temps, il s'agit de lait (parfois caillé) ou de bouillies à base de lait. L'amour immodéré du lait est d'ailleurs le seul détail alimentaire permettant de reconnaître à coup sûr un lutin.

 

Moyens de les chasser

Cette relation avec les habitants du foyer n'est jamais un acquis. Très susceptible, le lutin est attentif à la moindre marque d'irrespect et se retourne en un instant contre les personnes qu'il servait. Il peut aussi se défendre férocement : un récit de Plouaret rapporte qu'un charretier ivre défie un soir le lutin de l'écurie, estimant qu'il lui fait une concurrence déloyale. L'homme est retrouvé au matin « complètement brisé », ayant le rire terrible du petit être résonnant en lui, tremblant de tous ses membres. Enfin, le lutin est l'une des causes potentielles du cauchemar.

 

Ces raisons expliquent que les gens désirent parfois chasser les lutins de leur foyer, plusieurs méthodes étant citées aux côtés de l'habituelle utilisation d'objets (eau bénite) et de prières chrétiennes. L'une des plus classiques consiste à placer un récipient rempli de fines graines (il s'agit de milet, de pois ou de cendres en Auvergne, selon Paul Sébillot) sur le chemin du lutin : s'il le renverse, il est forcé de tout remettre en place avant l'aube et le chant du coq, et ne revient plus jamais. Une autre, connue pour se débarrasser de ceux qui « lutinent » les filles depuis le XVe siècle, est de parvenir à les dégoûter. Les Evangiles des quenouilles parlent de porter du pain sur soi, « et quant volenté te prent de pissier, fay ton aise, et toudis mengue de ton pain ». Le folklore belge conseille de s'accroupir sur du fumier en position de défécation, et de manger une tartine dans cette position. Le lutin pousse alors une exclamation de dégoût comme « Ah ! Ti cakes èt magnes » (« Ah ! Tu défèques en mangeant »), et s'enfuit pour toujours. La plupart des lutins sont connus pour leur réaction d'horreur face à ce qui évoque les besoins naturels, c'est pourquoi, dans le Limbourg, on les prévenait avant d'épandre le fumier. En Italie, un moyen de faire fuir le « Linchetto » trop entreprenant est de manger du fromage assise sur les toilettes, en disant « Merde au Linchetto : je mange mon pain et mon fromage et lui chie à la figure ». Une histoire belge parle d'une jeune fille harcelée par un lûton, dont les parents posent des coquilles d’œuf en rond emplies de brindilles. En les voyant, le lûton dit « J'ai vu Bastogne haut boir, Frèyir plein champ, mais jamais je n'ai vu tant de pots mélangeants », et part à jamais.

 

Le sôté et d'autres lutins du foyer peuvent se venger de tentatives ratées pour les chasser en ruinant toute la maisonnée. Dans un conte près de Saint-Philbert-du-pont- Charrault, une femme se débarrasse de fadets qui venaient près de son âtre en chauffant le trépied sur lequel ils se posent. Plus tard, la fée Mélusine remplace l'un des enfants de la femme par un changeling en son absence, pour les venger.

 

Les paysans ont toujours cherché à capturer des lutins. Une méthode québécoise consiste à répandre de la farine fine au sol, et à suivre les traces qu'ils ont laissées jusqu'à l'endroit où ils se cachent dans la journée.

 

Liens avec l'eau

Le lutin aquatique remonte au XIIIe siècle, apparaissant dans Huon de Bordeaux, la Chanson de Gaufrey et la Geste de Garin du Monglane. Malabron est un bon représentant, tout comme le klabautermann des pays germaniques. Sans doute parce qu'ils sont « les plus primitifs », ce sont aussi les plus négatifs dans les récits à leur sujet, en particulier à l'époque médiévale. Leur apparence est peu détaillée, et ils sont réputés pour leur anthropophagie. Si les nains de la légende arthurienne sont quasiment sans rapport avec l'eau, d'autres monstres plus ou moins liés aux lutins y sont présents. Le Chapalu, félin aquatique ennemi du roi Arthur, est décrit comme le « roi des lûtons » et Christine Ferlampin-Archer lie le chat noir du lac de Lausanne, mentionné dans la Vulgate Merlin comme une bête aquatique capable de changer de taille jusqu'à devenir un « diable gigantesque », à un avatar du lutin issu des légendes celtiques.

 

Les tours favoris des lutins, en dehors du foyer, sont presque toujours en rapport avec les équidés et l'eau : si le houzier des Ardennes et le poulain Fersé de Haute-Bretagne attirent les hommes dans l'eau pour leur jouer des tours sans gravité, les Pie-pie-van-van de la Meuse, et d'autres, cherchent à les noyer. Paul Sébillot cite quelques lutins aquatiques positifs, tel le petit bonhomme rouge des côtes dieppoises, qui garde les filets des pêcheurs.

 

Liens avec les chevaux

Plusieurs chercheurs ont remarqué des liens très étroits entre lutins et chevaux, « si étroits que, dans les chansons de gestes médiévales comme dans le plus moderne folklore, lorsque le lutin prend forme animale, il adopte presque toujours celle-là ». La raison semble liée, en plus du lien à l'élément liquide et au dieu Neptune déjà évoqué, au fait que le cheval, animal familier des hommes, est aussi le plus approprié pour se rendre dans les univers féeriques et pour jouer les « tours » caractéristiques du lutin, tels que jeter un cavalier dans une mare de boue, une rivière ou une fontaine. Dans la littérature médiévale, Malabron et Zéphyr se changent fréquemment en chevaux. Le « nain » Frocin, qui affuble le roi Marc'h d'oreilles de cheval dans la version de la légende fournie par Béroul au XIIe siècle, est vraisemblablement issu du lutin folklorique. Le roman de thèbes et d'autres textes évoquent aussi la paternité d'un fabuleux poulain noir pour le netun, noitun ou luiton, ce dernier étant bien connu à l'époque pour s'occuper des écuries. Guillaume d'Auvergne affirme au XIIIe siècle qu'au matin, les crins des chevaux sont retrouvés tressés, et couverts de petites gouttes de cire. François le Poulchre ajoute en 1587 qu'un cheval rentré souillé à l'étable peut être retrouvé « estrillé et net le lendemain, sans que de créature il eust été touché pour en oster l'ordure ». Paul Sébillot fournit de nombreux témoignages : en Normandue, le lutin mène les chevaux boire, dans la Beauce et en Franche-Compté, il les étrille, les soigne, et les nourrit, ce qui en en Haute-Bretagne les fait hennir au moment où le Maît' Jean apporte leur nourriture. Le fouletot franc-comtois vole le foin pour le donner à sa bête préférée, si le maître n'en a pas dans son fenil. En Normandie, le lutin vole les plus beaux épis d'avoine pour ses favoris, il en est de même en Acadie, où il prend le grain des chevaux gras pour le donner à ceux des plus pauvres paysans.

L'elficologue Pierre Dubois cite de nombreux témoignages de lutins visitant les écuries durant la nuit, et laissant pour traces de leur passage des torsades dans les vrinières, qu'ils utilisent afin de se confectionner des étriers (les fameux « nœuds de fées »), et galoper toute la nuit. Paul Sébillot en relève dans la Manche en 1830, cette croyance est très ancrée dans le Nord de la France, particulièrement la Bretagne et la Normandie. Preuve du forfait des lutins, le propriétaire retrouve son animal couvert de sueur au matin. Les chevaux aux « nœuds de fées » sont prisés sur les marchés bretons, et les juments réputées pour devenir de bonnes poulinières. La tradition rapporte qu'il ne faut surtout pas démêler les crinières de ces juments : dans le Berry, cela les fait avorter, en Franche-Compté cela provoque une mort dans l'année, et en Acadie, les lutins se vengent en maltraitant les chevaux. Des témoignages de crinières emmêlées sont recueillis par les paysans de Haute-Bretagne et duQuébec jusqu'au début du XXe siècle.

 

Maint’nant, au travail ! Comme un fou
Vers les ch’vaux le voilà qui file,
À tous leur nouant à la file
Les poils de la tête et du cou.

Dans ces crins tordus et vrillés
Va comme un éclair sa main grêle,
Dans chaqu’ crinière qu’il emmêle
Il se façonn’ des étriers.

Puis, tel que ceux du genre humain,
L’une après l’autre, i’ mont’ chaqu’ bête,
À ch’val sur l’cou — tout près d’la tête,
En t’nant un’ oreill’ de chaqu’ main

 

(Maurice rollinat, Paysages et paysans (1899), Le Lutin)

 

Ces phénomènes ont été de tous temps attribués aux lutins ou à des créatures similaires, jusqu'à la découverte d'une explication scientifique, celle d'une plique polonaise, défaut d'entretien longtemps considéré comme une maladie.

 

La diabolisation du lutin conduit toutefois à une inversion progressive de son rôle envers les chevaux : dans le Berry, d'animal favori, le cheval devient sa victime, et « seuls l'âne et le boeuf échappent aux tourments des lutins, grâce à leur rôle dans la Nativité ». Les deux croyances coexistent parfois, le sôtré étant capable d'agacer les chevaux ou de les soigner. Un objet déjà utilisé pour se protéger des changelins, tel qu'une pierre percée (contre le foulta de Suisse romande) ou une série de coquilles d’oeufs (contre le chorriquet à Trefiagat), peut être déposé dans l'écurie pour en chasser les lutins. En Ontario, des graines de lin sont mélangées à la ration des chevaux, pour forcer les lutins à trier. Les traditions canadiennes parlent de créer une girouette à forme équine que le lutin vient ensuite chevaucher, ou de faire détresser les crinières par une femme enceinte. En Haute-Bretagne, des séances d'exorcisme sont menées, mais sont mal acceptées par les populations à en croire ce témoignage collecté par Paul Sébillot : « si on brûle les crins avec un cierge bénit, le lutin ne revient jamais, mais les bêtes sont, par suite de son départ, exposées à dépérir ».

 

Parallèlement « les silhouettes du lutin et du cheval tendent à se confondre et à se fondre en un seul personnage dont le rôle est d'égarer, d'effrayer et de précipiter dans quelque mare ou rivière ceux qui les montent ». Paul Sébillot rapporte des croyances populaires quant à plusieurs lutins-chevaux jouant ce rôle, notamment le Bayard de Normandie, le Mourioche de Haute-Bretagne, Maître Jean, le Bulgul-noz et la jument blanche de la Bruz. Dans les îles anglo-saxonnes, Puck prend cette forme pour effrayer la population.

 

Créatures désignée comme "lutins"

Paul Sébillot parle des lutins comme d'une « grande tribu », et Anne Martineau en dénombre « 30 000 espèces » rien qu'en France. En 1992, si Pierre Dubois dit que le mot « lutin » désigne communément (et à tort) l'ensemble du petit peuple en France, il insiste aussi sur le fait que les lutins forment « une race à part entière », à ne pas confondre, notamment, avec les nutons de Wallonie et des Ardennes française dont l'habitat et les légendes sont différents, ni les kobolds, les gobelins, les leprechauns et les gnomes, distincts de plus par l'étymologie. La plupart des récits de lutins sont spécifiques à la France et se trouvent notamment en Bretagne, dans les Ardennes, dans les Alpes et en Picardie, mais quelques textes en évoquent dans le comté de Devon, le Yorkshire, les Flandres, l'Allemagne et l'Italie. Dans le Berry et selon George Sand, les lutins sont surtout nommés des follets. Pierre Dubois inclut parmi les lutins proprement dits les chorriquets, bonâmes, penettes, gullets, boudigs et bon noz, dont le rôle est surtout de soigner les chevaux et le bétail, et y ajoute le Bona d'Auvergne, qui se déguise en joueur de cabrette. Bien d'autres créatures sont qualifiées de « lutins », comme le fullettu de Corse, qui avec sa main d'étoupe et sa main de plomb, s'attaque aux gens couchés. En Provence et en Languedoc, le gripet et le fantasti s'occupent du bétail et des écuries. Les Pyrénées connaissent Truffandec, génie du foyer plutôt nocturne et diabolique, et le Pays basque les laminak.

 

L'Alsace a de nombreuses histoires de lutins, comme celle de Mikerlé dans la vallée deGuebwiller. La Suisse utilise le nom de « follet ». Dans l'Allier, le « fol » joue de vilains tours, comme le farfadet du pays poitevin. Le nom de « fadet » est attesté dans la Vienne, les Deux-Sèvres et le Poitou.

 

Psychanalyse et symbolique des lutins

Pour le psychanalyste Carl Gustav Jung, Les gnomes et lutins sont des dieux nains « chthoniens », des homoncules comme les Cabires, et un symbole des « forces créatrices infantiles » qui « aspirent éternellement à passer des profondeurs vers les hauteurs ». Ils possèdent de nombreux traits psychologiques propres aux enfants, se montrant alternativement joueurs, sages ou cruels. Selon la psychologie analytique, ils sont l'une des manifestations symboliques de l'archétype de l'enfant intérieur (ou puer aeternus : « enfant éternel » en latin), la part enfantine qui existe en chaque adulte, quel que soit son sexe. Lorsqu'il représente également le développement harmonieux et spontané de la psyché, l'enfant intérieur est le germe de la totalité psychique.

 

Les personnages de lutins peuvent personnifier la part d'ombre qui continue de vivre sous la personnalité consciente et dominante. L'une de ces manifestations est le Fripon divin (ou trickster dans la culture des Indiens des Amériques, Kokopelli chez les Amérindiens). C'est dans Le Fripon divin : un mythe indien, écrit en collaboration avec l'anthropologue américain Paul Radin et le mythologue hongrois Karoly Kerenyi, que le psychiatre suisse Carl Gustav Jung étudie la symbolique du trickster, le mettant en relation avec des mythes du monde entier. Dans Introduction à l'essence de la mythologie (1968), les trois hommes étudient les variations de l'archétype du Fripon divin dans la mythologie, les arts et la littérature. Paul Radin le définit comme l'un des mythes centraux de l'humanité : « Il n'est guère de mythe aussi répandu dans le monde entier que celui que l'on connaît sous le nom de « mythe du Fripon » dont nous nous occuperons ici. Il y a peu de mythes dont nous puissions affirmer avec autant d'assurance qu'ils appartiennent aux plus anciens modes d'expression de l'humanité ; peu d'autres mythes ont conservé leur contenu originel de façon aussi inchangée. (...) Il est manifeste que nous nous trouvons ici en présence d'une figure et d'un thème, ou de divers thèmes, doués d'un charme particulier et durable et qui exercent une force d'attraction peu ordinaire sur l'humanité depuis les débuts de la civilisation ».

 

Source: wikipedia