Des fleuves dans la mer

Grâce aux courants marins, les matières nutritives et la chaleur de l'eau sont réparties sur tous les océans de la planète. Leur influence est considérable sur les climats.

 

Corrientes-oceanicas

 

Au début du XIXe, on plante des fougères australiennes dans le sud de la Cornouailles. Située à la pointe sud-ouest de la Grande-Bretagne, cette région se trouve aux mêmes latitudes que les glaiciales Calgary (Canada) et Irkoutsk (Sibérie). Les fougères, venues d'un climat chaud et humide, auraient du mourir de froid. Elles prospèrèrent. Et le jardin cornouaillais d'Heligan, où les fougèrent voisinent avec une flore subtropicale tout aussi importée, est luxuriante. En hiver, à Calgary, on gèle; dans le sud de l'Angleterre, on frissonne à peine. Entre les deux, il y a les vents d'ouest, qui drainent en hiver la chaleur que l'océan avait accumulée durant l'été, et un courant marin relativement chaud, le Gulf Stream.

 

Dans l'est du Canada, l'hiver est souvent traversé par une vague de froid glaciale. Privé de la chaleur du Gulf Stream, le nord-ouest de l'Atlantique rafraîchit et assèche l'atmosphère du littoral nord-américain, encore refroidie par des vents froids venus de l'Arctique et que n'arrête aucun anticyclone.

Des eaux mélangées

En substance, si quelque chose est plus abondant ici que là, un flux de ce quelque chose soit se déplace d'ici à là pour rétablir un équilibre relatif : c'est la loi des vases communicants. En mer, ce flux s'appelle un courant.

A l'échelle de la planète, les courants majeurs naissent parce qu'il existe des différences de température ou de salinité entre les masses d'eau. Grâce à eux, la chaleur des tropiques peut gagner les hautes latitudes. Sans eux, les matières nutritives des sédiments marins ne remonteraient jamais vers la surface et l'oxygène circulerait mal dans les grandes profondeurs. Les courants profonds permettent aux masses d'eau composant l'océan mondial de se mélanger: ils agissent comme un thermostat, qui libère et retient les calories de la mer. D'où leur influence sur la température des masses d'air et sur le climat.

Un tapis roulant dans la mer

Les courants de densité, générés par des différences de concentration en sel et de température entre deux masses d'eau, sont peu nombreux, mais leur rôle est fondamental. Agissant comme un gigantesque tapis roulant à l'échelle de la planète, ils font circuler l'eau depuis l'Atlantique Nord jusqu'au Pacifique Nord, aller et retour, en huit cents ans environ. Ils créent une circulation globale dite thermophaline, parce qu'imposée par des différences de température (thermo) et de concentration des eaux en sel (haline).

Prenons ce courant au milieu de l'Atlantique, au niveau de l'équateur. L'eau, chauffée par le soleil, se déplace en surface vers le Groenland et le Labarador. Durant ce long voyage, elle perd lentement de sa chaleur par évaporation et voit ainsi sa teneur en sel augmenter.

Parvenue dans la mer du Labrador, elle plonge sous la banquise à cause de sa plus forte denité. En suivant le fond très accidenté de l'océan Atlantique, cette eau devenue très froide gagne l'Antarctique,, où elle se refroidit encore. Elle s'est enrichie, en route, de l'eau de la Méditerranée.

Celle-ci, plus dense parce que plus riche en sel, est passée sous l'Atlantique par le détroit de Gibraltar, donnant naissance à un courant de moyenne profondeur. D'ouest en est, ce courant gagne à la fois, par une branche,l'océan Indien et, par une autre branche, l'Antarctique en longeant le Pacifique. C'est dans ces deux océans que ces deux rameaux du même courant se mélangent aux chaudes eaux tropicales. De moins en moins denses, ils remontent vers la surface, et, après s'être rejoints au sud de l'océan Indien, peuvent alors regagner l'Atlantique par un vaste mouvement de retour est-ouest.

 

Dans le nord de la Namibie, l'air refroidie par le courant de Benguala rencontre l'air très chaud venu du désert de Namib : avant l'aube, l'humidité se condense et un brouillard qui disparaît dès le lever du jour.

 

Quand le vent s'en mêle

Les autres courants, appelés courants d'impulsion, naissent en surface sous l'action des vents. Ceux-ci, venus de la terre, poussent l'eau vers le large. Une pente se crée alors à la surface de l'eau, immédiatement compensée par de l'eau froide remontée des profondeurs.

Riches en matière nutritives, l'eau froide permet au plancton de proliférer, ce qui entraîne l'explosion démographique de nombreuses espèces animales. Les zones où l'eau froide remonte s'appellent des upwellings. Leur importance est captiale pour la pêche.

En raison de la rotation de la Terre, l'eau mise en mouvement par les vents est dérivée, sous l'action de la force dite de Coriolis, vers la droite de sa trajectoire dans l'hémisphère Nord et vers la gauche dans l'hémisphère Sud : soit environ 25° par rapport à la direction du vent près des côtes, et de 45° au large. Tout étant question d'équilibre, il existe, pour chaque courant, un contre-courant qui vient, loin des côtes remplacer l'eau chassée vers la droite ou la gauche par la force de Coriolis.  L'un est chaud, l'autre froid. Dans l'Atlantique, par exemple, le courant chaud du Gulf Stream, qui s'écoule depuis la Floride jusqu'aux Açores, est compensé au large du Canada par le courant froid du Labrador. Dans le Pacifique, on retrouve le même schéma avec le Kuroshio (chaud, des Phillippines au nord du Pacifique) et l'Oyashio (froid) dans la mer de Béring. On obtient ainsi six grands circuits.

 

En Nouvelle-Zélande, la remontée d'eau froide venue des abysses favorise la prolifération du plancton végétal.

 

Le voyage des eaux de surface

L'ensemble des courants de surface a pour origine les alizés, des vents soufflantsdepuis le nord-est (dans l'hémisphère Nord), ou le sud-est (dans l'hémisphère Sud). Dans la zone intertropicale, ces alizés poussent l'eau vers l'ouest. En se déplaçant, celle-ci se réchauffe. Parvenue sur les rivages occidentaux de chacun des océans, elle est obligée de tourner et de longer les côtes, vers la gauche ou la droite selon l'hémisphère : au nord, elle le fait dans le sens des aiguilles d'une montre (c'est-à-dire vers le nord), au sud, dans le sens inverse (donc vers le sud).

Parvenue aux hautes altitudes, l'eau est ensuite repoussée vers le large par les vents d'ouest. C'est en rencontrant les rivages orientaux de leurs océans respectifs que les courants remontent (dans l'hémisphère Sud) ou descendent (dans l'éhmisphère Nord) le long des côtes. Ils bouclent ainsi leurs cycles.

 

Frictions et turbulences

En profondeur, les courants se heurtent au relief tourmenté du plancher océanique, jusqu'à s'écouler par endroits en de véritables et monstrueuses cascades sous-marines. Des tourbillons qui facilitent le mélange de volumes d'eaux de température et de salinité différentes. En surface, le mouvement des courants génère des frictions au contact des masses d'eau sur lesquelles ils se déplacent. Parmi celle-ci, les ondes de Rossby. En se déplaçant lentement d'un bord d'un océan à l'autre, les ondes se comportent comme de véritables courants. Leur influence est déterminante sur la circulation de l'eau à l'échelle mondiale.

 

Oscillations à grande échelle

Les courants agissent sur l'atmosphère, qui les perturbe aussi en retour. Dans l'Atlantique Nord et le Pacifique équatorial, la pression atmosphérique varie d'un bord à l'autre de chacun de ces océans. Régulièrement, elle s'inverse. Le régime des vents est alors modifié et, avec lui, la température de la surface de l'eau. Ce qui entraîne un déplacement de la limite existant entre les eaux de surface et les eaux plus profondes - et plus froides. Les courants sont alors affectés et transmettent ces modifications à tous les océans du globe. Ces changements à grande échelle s'appellent des oscillations/